Chez SNCF Voyages, la transformation digitale s’accompagne d’une libération de la parole des collaborateurs sur les réseaux sociaux en interne, avec la mise en place de Yammer, mais également sur Twitter, utilisé comme outil de communication interne. Madmagz Com’In a rencontré Isabelle Bascou-Debleme, secrétaire générale à la communication et aux ressources humaines de SNCF Voyages. Témoignage.
Peut-on parler aujourd’hui de réappropriation de la communication par les employés devenus collabor’acteurs ?
Le constat que nous pouvons faire aujourd’hui, dans une entreprise de notre taille, en lien au quotidien avec les publics et qui est de surcroît l’une des entreprises les plus médiatisées de France, c’est qu’il y a une frontière de plus en plus ténue entre la communication interne et la communication externe.
Chez SNCF Voyages, les collaborateurs, du fait qu’ils soient facilement identifiés (par l’uniforme, le lieu), ont toujours été porteurs de l’image et de la communication de notre maison. Si vous regardez notre dernière campagne de communication corporate “le 24/24”, diffusée le soir à la télévision, nous montrons les coulisses de la maison, et chaque fois ce sont les agents qui racontent leur vie quotidienne au service du client.
Il faut comprendre que SNCF est une entreprise publique. Son activité concerne le quotidien des gens, il y a une notion de service forte. Quand on rentre chez SNCF, c’est de fait très engageant. On tourne 7j/7, 24h/24 avec une diversité de profils, de métiers… C’est une vraie communauté où tout le monde se tutoie, quel que soit son niveau hiérarchique.
Quel est l’impact du numérique dans tout ça ?
Aujourd’hui, le digital permet non seulement aux collaborateurs de se réapproprier la communication s’ils le souhaitent, mais personnellement, je crois qu’il y a de moins en moins de communication interne et de plus en plus de l’animation de réseaux de collaborateurs. La communication précède l’organisation.
Chez SNCF Voyages, le digital est donc le prolongement d’une posture qui existait déjà. L’engagement et l’ADN communautaire est déjà très fort. Après, il faut l’autoriser, l’accompagner… Le digital nous aide à le faire de façon plus large et plus interactive.
S’agissant de l’usage de Twitter en communication interne, pouvez-vous revenir sur la genèse de cette démarche ? Pourquoi avoir misé sur un réseau externe pour favoriser le dialogue en interne ?
Twitter, c’est un outil qui correspond assez bien à notre maison. Il permet de communiquer rapidement et de façon factuelle. Au début, nous l’avons utilisé comme un outil de communication de crise pour communiquer rapidement avec les clients. C’est ensuite devenu un outil de communication d’influence. Beaucoup de nos dirigeants l’utilisent aujourd’hui, participant de fait à la valorisation de l’image de la maison. Puis, des groupes de collaborateurs s’y sont mis, d’une part pour renforcer la relation client mais aussi pour raconter leur métier. Il y a plein de gens passionnés chez SNCF Voyages : des maintenanciers, des conducteurs de train, des opérateurs, des travailleurs de nuit, des travailleurs de gros ouvrages, etc. Ils voyagent et apportent un point de vue différent sur le monde depuis la cabine du conducteur d’un TGV ou d’un TER. De ce fait, ils ont rassemblé de grosses communautés.
Pour la petite histoire, un jour il y a eu une communication publicitaire de “Hop!” sur Twitter et les réseaux sociaux qui s’appelait “moi je préfère l’avion parce que”. En riposte, Antoine, un conducteur SNCF qui comptait déjà 12 000 followers à l’époque, a lancé le hashtag “moi je préfère le train parce que…”. Nous avons généré plus de notoriété sur cette campagne que “Hop!” et Antoine est devenu exemplaire sur la façon de parler aux clients et de porter un message sur notre maison vis-à-vis de l’externe. Il a ensuite commencé à être invité pour faire du reverse mentoring auprès de cadres de la direction.
On peut donc dire que l’adoption de Twitter comme outil de communication interne s’est faite naturellement avec ce qu’on est : des gens de réseau, des gens très engagés. Les dirigeants ont montré l’exemple, mais chez nous, les collaborateurs ont envie de porter l’image de leur entreprise et Twitter est un moyen qui nous permet d’échanger de façon plus rapide, plus efficace et c’est agréable.
Lorsque nous avons constaté l’utilisation de Twitter par nos collaborateurs, nous avons surfé sur ces initiatives et ouvert la possibilité de les montrer et de les identifier avec le hashtag #teamvoyagesncf qui permet de les valoriser et de renforcer le sentiment de communauté. C’est une façon d’échanger entre nous sur ce que nous faisons et de montrer que lorsqu’on a une belle campagne de publicité ou que l’on a fait une réunion passionnante avec Google et Twitter, ou encore qu’on lance une nouvelle rame, c’est grâce à tout le monde, c’est grâce à la #teamvoyagesncf. Ce hashtag est cité entre 150 et 300 fois par mois selon les actualités.
Finalement, le numérique permet à une entreprise comme SNCF de casser les frontières géographiques mais aussi hiérarchiques ?
Oui, en effet. Se sont créés des liens nouveaux, qui dépassent les liens hiérarchiques. Ces communautés Twitter se sont construites avec des gens qui aiment leur travail, les voyages, les clients et qui ont envie d’en parler. Le numérique est venu faciliter la communication qui devient plus rapide, plus légère, plus instinctive. Le fait que des conducteurs de train puissent parler directement avec des personnes de la direction centrale, ou des collaborateurs qui ne sont pas du tout sur le même axe ou la même activité qu’eux, est facilité par le digital. Pour ceux qui ont une activité roulante, le digital est aussi un moyen d’être lié à leur communauté. Cela permet aussi de comprendre les métiers. On peut voir la vie d’un conducteur à cœur ouvert à travers ses tweets, par exemple.
Comment s’inscrit Yammer dans l’écosystème de communication de SNCF Voyages ? 4 mois après son lancement, quel est le bilan que vous pouvez en tirer ?
Chez nous, Yammer est plus un outil de travail, d’échange de bonnes pratiques, par opposition à Twitter, par exemple, qui est un outil d’information, d’interaction, de valorisation de la communauté.
Sur Yammer, notre objectif est d’une part de créer une sorte de “fil AFP Voyages SNCF”, pour permettre à chacun de devenir un média à part entière et d’être capable de poster des actualités, au fur et à mesure de l’avancée des projets. C’est aussi un outil de knowledge management puisque nous cherchons également à y intégrer tous les documents de référence, pour que chaque collaborateur puisse s’y retrouver, avoir une base organisée de documents de référence et gagner du temps. Ensuite, on y trouve beaucoup de communautés de travail. Nous avons par exemple la communauté “I Love”, qui est notre programme de relation client, une communauté sur l’innovation. Une communauté de directeurs d’établissement est également en train de se créer… Ce sont des communautés de travail qui rassemblent des collaborateurs qui partagent des problématiques identiques et qui veulent échanger des informations et des bonnes pratiques. Yammer a été lancé cette année en janvier 2017. L’objectif est d’avoir 1 500 actifs à la fin de l’année, sur une population cible d’agents en contact et de managers de proximité, d’environ 8 à 10 000 personnes.
SNCF a déployé de grands moyens pour outiller ses collaborateurs en smartphones et développer des applications mobiles qui leur sont destinées (Ex : Les Infos). Est-il indispensable d’investir dans la mobilité lorsqu’on compte une forte population déconnectée du siège ?
Oui, en effet, nous avons déployé entre 80 000 ou 100 000 smartphones auprès des managers mais aussi et surtout auprès des agents de terrain. C’est le reflet de la confiance que nous accordons à nos collaborateurs mais c’est surtout un investissement essentiel pour une entreprise comme la nôtre. Nous nous sommes adaptés à la mobilité de nos agents. Nous avons une très grande population de roulants ou autres métiers en mobilité et nous sommes de fait obligés de miser sur la communication mobile.
Aussi, nous avons un rapport au temps et à l’actualité qui est très fort. Il suffit qu’il y ait un problème à l’autre bout de la France, et nous en sommes informés à toute vitesse. Nous sommes nombreux et très éloignés géographiquement (220 000 personnes dont 180 000 répartis à travers le territoire), et nous avons besoin d’échanger et ce de manière structurée. Aujourd’hui, nous concevons des applications qui sont quasiment les mêmes en interne et en externe, avec des formats plus agiles, plus responsive, et une prise en main facile. Chez SNCF, il existe un store où l’on peut les télécharger librement.
Concernant l’application “Les infos”, elle a été très efficace pendant le Cadre Social Harmonisé qui a été une période complexe. Tout ce qui était publié sur “Les Infos” l’était en toute transparence en interne comme en externe. De toute façon, je pense qu’il faut arrêter de séparer l’interne de l’externe, cela n’a plus de sens aujourd’hui. Après le CSH, l’application a été conservée et les collaborateurs la consultent énormément.
Pourquoi ne pas avoir misé sur le BYOD ?
Le BYOD est une discussion qui revient souvent. Culturellement, nous ne savions pas si tout le monde était prêt et puis il y a aussi des enjeux de sécurité assez forts. Nous avons aussi des spécifications particulières pour les applications métier. Les spécialistes doivent pouvoir choisir le matériel que l’on va confier aux agents.
Selon vous, à quoi ressemblera la communication interne de demain ?
Nous verrons bien ! Chez SNCF Voyages, nous anticipons beaucoup sur les outils, les systèmes. Nous les transformons, les testons… Concernant l’acculturation au digital, nous n’avons pas fini ! Certains métiers ne sont pas encore servis. Par ailleurs, nous avons complètement modifié le réseau téléphonique en passant sur Skype. Nous avons aussi acheté des ordinateurs portables et remplacé tous les ordinateurs fixes. Maintenant, il faut vivre avec, avant de passer à un cran au-dessus. Il y a une chose à laquelle je crois beaucoup dans cet univers de la communication digitale, c’est que le numérique ne remplace pas l’humain. Le travail en réel avec les gens et la capacité à se parler sont essentiels. Il faut produire du symbole physique : les bureaux, les livres…Tout l’enjeu est de trouver le bon équilibre entre le digital et le réel, entre ce qui va très vite et ce qui doit être très stable. Il faut aussi bien différencier ce qui relève de l’information et ce qui relève du partage de la vision. Pour tout ce qui relève du partage de la vision, je reste persuadée qu’il faut de l’incarnation humaine : il faut voir les choses, se rencontrer, se parler. Si nous avions fait cette interview par mail, nous n’en aurions pas ressorti la même chose.